Peugeot 406: le Lion ne tient pas la route
766 489 voitures tirent à droite. Le constructeur passe sous silence ce grave défaut.
HOLTZ Michel
Tous les spécialistes l'affirment: avec sa gamme, Peugeot fait figure de champion du monde de la tenue de route. Et la 406 est son étendard. Sur le papier. Car, dans la réalité, la berline sochalienne aurait une fâcheuse tendance à tirer à droite, en phase d'accélération comme à vitesse stabilisée, dans les virages comme en pleine ligne droite. Avec le risque, en quittant ainsi subitement sa trajectoire contre la volonté de son conducteur, de filer vers le fossé ou contre la première glissière de sécurité venue.
Debout sur le frein. L'affaire ne concerne pas seulement quelques unités. Si l'on se réfère à la note interne et confidentielle n° 22 4WK06K1, distribuée aux concessionnaires du réseau le 25 mars 2000, toutes les 406 jusqu'au numéro de fabrication 766 489 seraient en cause. Soit plus des deux tiers du million de berlines vendues depuis son avènement en 1996. Une dizaine de conducteurs tous français ont eu la surprise de terminer leur course dans un mur ou d'éviter un accident grave, debout sur le frein. Plusieurs centaines d'autres également en France s'accrochent quotidiennement et préventivement au volant, pour tenter de corriger une embardée, possible à tout moment. Car le défaut de l'engin apparaît de manière aléatoire. Il serait dû, selon une expertise indépendante commanditée par l'UFC (Union française des consommateurs), à un défaut de série: une dérive exagérée du triangle de suspension de la roue avant droite.
En février, lorsque René Morange grimpe dans sa 406 de fonction, il ignore tout de cette anomalie technique. En sortie de virage, du côté de Gap, alors qu'il est en phase de réaccélération, son auto vire brusquement vers la droite sans qu'il n'exerce aucune pression sur le volant. L'engin finit sa course contre un mur. Si René s'en sort indemne, son véhicule est en miettes. Le conducteur pense à un défaut dont serait victime sa seule auto. Mais lorsque son entreprise lui remet les clés de sa nouvelle 406 de service, la direction joue encore la fille de l'air. Intrigué, il lance un appel sur l'intranet de son entreprise. Et les témoignages arrivent. D'autres conducteurs passent leur vie cramponnés à leur volant pour éviter que le train avant n'en fasse qu'à sa guise.
«Erreur de conduite». Un club informel de victimes de la 406 se crée et alerte rapidement le bureau régional de l'UFC-Que choisir. Son président, Joël Dufour, se souvient: «Avec tous ces témoignages à l'appui, j'ai adressé un courrier à la direction générale de Peugeot. Ils m'ont répondu rapidement.» Une semaine plus tard, la sentence tombe sous la plume de Christine de Saint-Didier, directrice des relations avec les consommateurs de la firme au lion. Les sorties de route? «Une erreur de conduite. La 406 est hors de cause.» De leur côté, certains propriétaires de 406 en délicatesse avec la tenue de route de leur véhicule s'en inquiètent auprès de leur garagiste. Et ceux-ci de leur répondre que «lorsqu'on conduit, on tient son volant à deux mains».
Mais les cas se multiplient. Peugeot, dans sa grande mansuétude, concède à ses clients mécontents de belles largesses, acceptant parfois de remplacer purement et simplement le modèle incriminé par une auto flambant neuve et sans aucun défaut. Et pour cause: dès le numéro de fabrication 766 489, le triangle de suspension baladeur a été remplacé et le défaut corrigé. Mais pas question de rappeler les anciens modèles, on laisse les propriétaires d'autos fabriquées entre 1996 et 1999 dans l'ignorance. Tout au plus le constructeur s'est-il contenté, au mois de mars, d'envoyer à l'ensemble de son réseau une note sobrement intitulée «406, le véhicule tire à droite». A la rubrique «origine de l'incident», un seul mot: «indéterminé». Plus cocasse, la note conseille aux garagistes désirant parer au problème de «régler la géométrie des trains roulants». Or, sur ce type de véhicule, il est absolument impossible de régler les fameux trains roulants. Tout au plus les mécanos peuvent-ils constater l'étendue des dégâts. Depuis, au siège du constructeur, on ne change pas de politique et, hier, il se contentait de répondre que «sur une production d'un million d'unités, quelques exemplaires nécessitent une mise au point». Quelques? 766 489 véhicules sont en cause.
Le précédent 607. Mais Peugeot a quelques excuses, en termes de marketing du moins. La marque vient tout juste d'essuyer une crise mettant à mal sa réputation mondiale de champion de la tenue de route: en mars, l'hebdomadaire Auto Plus publiait en une la photo de la nouvelle 607 assortie d'un mot en lettres rouges: «catastrophe». Le nouveau haut de gamme souffrait lui aussi d'un problème de tenue de route. Une anicroche apparue deux mois avant la commercialisation de l'auto. Du coup, pour la marque au lion, il eût été fâcheux à la même période de procéder au rappel de plus de 700 000 véhicules de type 406. Le constructeur a préféré tenter de réparer en douce les autos défectueuses: quand une 406 se présentait chez un concessionnaire ou agent pour une révision ou une réparation, le garagiste tentait de réparer l'anomalie. En espérant que le défaut ne serait pas divulgué publiquement.